Travailler n’est pas jouer (ou inversement).
Ah si la vie était un jeu vidéo. On essaie, ça ne marche pas on recommence. Mais aussi, on comprend vite ce qu’il nous est demandé et on mobilise efficacement des ressources pour atteindre le but attendu. A la fin on obtient une récompense équivalente à l’efficience de notre participation. Si ça existait en vrai, on pourrait par exemple appeler ça un « travail ». Oh, attendez une seconde!
Ces derniers jours, plusieurs personnes m’ont relayé le lien du site d’une boîte de placements bien connue, car celle-ci propose depuis peu un questionnaire d’intérêt professionnels calquée sur les compétences développées en jouant aux jeux vidéo.
Ma première réaction a été de me gratter le menton d’un air méfiant – déjà parce qu’ils écrivent « jeux vidéos », avec un s final – car je soupçonnais des raccourcis un peu facile. Je me suis alors précipité pour allumer le « Psy signal » dans le ciel (c’est comme un « Bat signal », mais qui permet d’appeler un psy, plutôt que Batman). Et j’ai attendu la réaction de Jérôme Armengol, psychologue spécialisé dans l’orientation professionnelle et joueur de jeux vidéo (un type bien, quoi).
Jérôme ayant justement développé une approche basée sur les goûts en matière de jeux pour déceler les intérêts des jeunes, son point de vue me paraît tout à fait adéquat. Nous avons ainsi comparé nos réflexions et nous arrivons à une conclusion en deux temps.
Premièrement, il est louable d’ouvrir un champ de reconnaissance aux jeux vidéo. C’est même remarquable pour une boîte de cette envergure d’initier des ponts entre deux milieu qui se retrouvent souvent opposés: le jeu et le travail. De cette manière, on réduit la stigmatisation générale des joueurs.
Mais dans un deuxième temps, le procédé nous semble beaucoup trop simpliste. En effet, s’il n’est pas aberrant de penser que ceux ou celles qui gèrent des communautés dans un MMO ont des compétences de management, ou que ceux et celles qui jouent compétitif ont des notions de coordination, il ne faut pas oublier que les contextes sont radicalement différent.

Ainsi, comme me le disait Jérôme, supposer, par exemple, d’ « excellentes compétences rédactionnelles » parce qu’un jeu en ligne comporte un chat pour s’envoyer des messages pendant un match est aussi peu crédible que de décréter que les utilisateurs de WhatsApp sont des écrivains qui s’ignorent. De même, pour pouvoir faire un lien entre FPS et « métier du soin », il faudrait mener une investigation de la manière de jouer plus approfondie.
C’est le piège très fréquent de tout ce qui touche à la gamification. Ou l’idée de rendre ludique quelque chose qui ne l’est pas de base, en s’inspirant des modèles de progression dans les jeux vidéo. On se frotte alors trop souvent à l’écueil que représente l’illusion qu’il suffit de jouer pour développer des compétences. On se confronte alors à cette fameuse ritournelle parentale: « Si t’arrives à passer autant de temps sur ton jeu, je vois pas pourquoi tu n’arrives pas à faire pareil pour tes devoirs », par exemple.
Ces démarches sont autant de poudre aux yeux qu’elles en oublient que ce qui fait qu’un jeu est prenant c’est avant tout qu’il est amusant. Les compétences utile dans un jeu sont rarement transposables telles quelles dans un autre contexte. Elle nécessitent d’être encadrées, développées et encouragées.
Alors avant de faire croire que le jeu vidéo prépare à la vie professionnelle, avec des faux airs de jeunisme, ne faudrait-il par réfléchir à rendre le monde du travail plus amusant?